Les aventures de Tintin

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Tintin au désert
Sources
Extrait du Compte-rendu de conférence par Maud Lasseur, 23 octobre 2001.
© Cafés géographiques.

Tintin : une hergéographie ?

Après le grand retour de la géopolitique, l’engouement pour la géomatique, l’alternative géopoétique, voici poindre une nouvelle branche de notre discipline : l’hergéographie.

Nous la pratiquions sans le savoir, souvent depuis le plus jeune âge. Restait à lui donner un nom (merci à Jean-Louis Tissier), des perspectives, une cohérence. Depuis le Café du mardi 23 octobre 2001, c’est chose faite.
L’hergéographie étudie le monde imaginaire bâti par Hergé (pseudonyme formé à partir des initiales inversées du nom du dessinateur belge, Georges Rémi, 1907-1983). Son principal objet : Tintin, personnage ambigu, gravitant dans un monde où l’interpénétration de l’imaginaire et du réel offre un champ inépuisable d’exploration. 
L’hergéographie est une école d’initiés (au berceau), avec ses fondateurs, passionnés et passionnants (même pour ceux qui ne sont pas tombés dedans) : Marc Lohez, enseignant d’histoire-géographie, Jean-Dominique Merchet, journaliste à Libération, Jean-Louis Tissier, géographe, longtemps enseignant à l’ENS de Fontenay-Saint-Cloud, aujourd’hui professeur à l’université de Paris-XII. 
Comme dans tout groupe de penseurs, des tiraillements s’y dessinent déjà, principalement entre tintinophiles, haddockphiles et tryphonphiles… Alors, Hergé a-t-il fait plus qu’il ne pensait pour la géographie ? Nos trois invités nous en ont persuadés. 

Tintin : Journaliste, voyageur ou géographe ?

Qui est Tintin ? Officiellement, un reporter. Mais Jean-Dominique Merchet, lui-même journaliste, semble sceptique : Tintin ne peut être journaliste car il ne travaille jamais. Pas un carnet de notes, aucune machine à écrire, pas de compte à rendre au journal. Voyageur ? Sans nulle doute. La première bulle du premier album de ses aventures (Tintin au pays des oviets, 1930) est explicite : " Bon voyage ". Tintin voyage, il ne fait que cela. Il a le goût du monde, de la découverte, des autres peuples. Pour un géographe, ce sont là les qualités premières, inhérentes à la discipline. 
Tintin est-il pour autant géographe ? Jean-Louis Tissier, en qualité de géographe tintinophile (ou plutôt haddockphile…), s’interroge. Tintin parcourt vingt-deux pays mais sa géographie est lacunaire. Malgré le vol 14 pour Sydney, il manque irrémédiablement l’Australie à son planisphère. Certains secteurs du monde sont au contraire surchargés de son empreinte : les Balkans, le Moyen-Orient. 
La géographie de Tintin est un système-monde centré sur Moulinsart, une vision européocentrique (et même bruxellocentrique) du monde, avec une auréole proche très parcourue et des périphéries lointaines à peine survolées (il n’ira qu’une seule fois en Amérique du Nord). Par contre, Tintin marche sur la Lune, expérience qui le place évidemment au-delà de celle du commun des géographes. 
Autre point suspicieux, Tintin ignore les cartes. Il ne peut, à ce titre, prétendre au statut de géographe. Tintin part, arrive, vit une série d’aventures mais ne semble jamais s’informer sur son lieu de destination ni organiser son itinéraire. Pire, Tintin, en dépit de la beauté des paysages qui l’entourent, ne s’arrête jamais pour les observer. Ce n’est pas un contemplatif. 
Il a cependant quelques qualités propres au géographe. Attentif aux autres peuples, il permet à Hergé de dessiner une ethnographie, certes élémentaire, mais qui traduit une réelle sensibilité aux autres cultures. Tintin a d’ailleurs un goût prononcé pour le costume local, il se déguise avec un grand soin (plaisir ?) pour mieux passer inaperçu (voir Le Lotus bleu, Le Crabe aux pinces d’or…). 
Plus intéressant encore, Tintin a le goût des points chauds, des zones de conflit. À se demander si la curiosité géopolitique de Tintin-Hergé n’a pas anticipé de quelques années le renouveau initié par Yves Lacoste et la revue Hérodote… La bande dessinée aurait-elle servi à faire de la géopolitique à une époque (l’après seconde guerre mondiale) où cette branche était suspecte et mise au banc de l’université ? 
L’intérêt majeur de l’œuvre d’Hergé est, dans tous les cas, la vraisemblance et la qualité de sa construction géographique. Hergé, au contraire de son héros, travaillait d’ailleurs à partir de cartes. Le réalisme, allié à l’esthétique des paysages, peuvent-il expliquer l’appropriation, le succès de Tintin dans le monde entier ? 
Tintin ne peut être labellisé géographe du point de vue de la géographie académique mais sans doute a-t-il créé des vocations de géographe. " Peut-être même, réplique Jean-Dominique Merchet, Hergé a-t-il permis à la géographie de rester sympathique (ce qu’elle n’était pas forcément, à l’époque, au sein de l’institution scolaire) et de faire vivre la passion pour cette discipline au fil des générations… La cartographie occupe d’ailleurs une place majeure dans l’un des albums, Le Trésor de Rackham le Rouge, qui m’a permis d’apprendre, en marge de l’école, ce qu’était la longitude… Il y a peu de cas, dans la littérature, où un concept géographique sert de fil conducteur à une intrigue ".

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